La police devient la cible
Insultes, coups, menaces: le nombre de violences faites aux policiers a pris de l’ampleur à Lausanne et à Genève. Une tendance qui interroge désormais la nature de notre rapport à l’autorité.
L’une a reçu un coup d’un détenu au visage, l’autre a été menacé avec un objet tranchant et un dernier s’est fait agresser par surprise dans la rue (lire témoignages ci-dessous). Tous sont policiers à Genève ou à Lausanne. Des cantons où la violence faite à leur encontre a connu une forte hausse. «À Genève, le nombre de policiers blessés en intervention a triplé entre 2012 et 2015 et, depuis, le rapport d’activité de la Police genevoise ne mentionne plus cette statistique», dénonce Marc Baudat, policier et président de l’Union du personnel du corps de police du canton de Genève. Vaud, de son côté, affiche une tendance similaire avec 283 cas de violences contre les fonctionnaires, selon la statistique policière de la criminalité 2017, contre 166 un an plus tôt. Ces chiffres ne spécifient en revanche pas la proportion de policiers sur l’ensemble des fonctionnaires, mais on peut imaginer sans prendre trop de risques que cette part est importante.
D’ailleurs, sur le terrain, le ressenti est clair: «Il y a une baisse de respect pour l’uniforme de police», s’indigne Marc Baudat qui travaille depuis dix ans dans des zones sensibles, comme le quartier de la gare à Genève ou encore celui des Pâquis.
Le danger, c’est l’inconnu
Un avis que ne partage pas le major Jensik de la police cantonale genevoise. «La police se fait toujours aussi respecter, c’est le contexte social qui a évolué.» Et concernant les profils d’agresseurs, «différentes typologies existent, éclaire le major de police. Mais si on doit en dégager les principales, je dirais les jeunes adultes avinés et les cas de violences domestiques.» Les jeunes sont-ils donc moins respectueux? «Cette question pose toujours celle de l’éducation: est-ce qu’on inculque aux jeunes le respect de l’autorité, du père et de la mère?» Quant aux situations les plus menaçantes, difficile à dire. «Le danger, c’est l’inconnu, affirme Marc Baudat, comme approcher quelqu’un qui a les deux mains dans les poches.» Un inconnu que les policiers qui témoignent ici ont fini par rencontrer.
«Il a remonté ses manches et fait craquer sa nuque pour montrer qu’il allait nous faire face»
Stéphanie*, 30 ans, policière, Genève
«C’était il y a trois mois environ. J’ai dû me rendre avec mon binôme dans un établissement pénitentiaire en renfort d’une patrouille qui devait transférer un détenu d’une prison à l’autre. Notre présence était nécessaire, car il n’était pas dit que le détenu soit coopératif. On venait de lui annoncer que sa peine était rallongée alors qu’il pensait sortir dans peu de jours, d’où son transfert. À la suite de cette nouvelle désagréable, le détenu ne voulait qu’une chose: récupérer ses affaires dans sa cellule avant de partir. Il était mécontent et, de notre côté, nous n’avions aucune marge de négociation possible pour le calmer. Il a alors remonté ses manches et fait craquer sa nuque pour montrer qu’il n’allait pas changer d’avis et qu’il allait nous faire face.
Un assistant de police et un collègue se sont donc dirigés vers lui pour lui passer les menottes. Le détenu a réagi en dégageant tout de suite ses mains et en répétant: «Lâchez-moi!» Puisqu’il résistait, nous avons utilisé la force. Dans un espace où il y avait des chaises, il était difficile de l’immobiliser. Il a alors fallu aller au sol pendant que le détenu donnait des coups à mes deux collègues. C’était un peu le méli-mélo. Le détenu a fini par me donner un violent coup de coude dans l’œil, au niveau de la pommette. Ce n’est qu’après un long moment, en étant à quatre dessus, que nous sommes finalement parvenus à le maîtriser, le menotter et le lever.
En fait, les gens revendiquent beaucoup leurs droits, alors qu’ils ont aussi des devoirs, et respecter la police en fait partie
—Stéphanie*
Ce genre de violence reste moins fréquent que les insultes qui sont, elles, très courantes. On entend souvent «connard de flic», «nique ta mère». Et pour une femme, il y a parfois d’autres mots dénigrants comme «connasse» ou «sale pute». La plupart du temps, je fais avec, mais pour moi, il y a une baisse de respect pour l’uniforme de police. Ce n’est pas visible qu’à travers les insultes, mais aussi dans l’attitude. C’est fatigant parce que, lorsqu’on relève l’infraction, il faut toujours tergiverser, négocier. Et cela concerne autant les voleurs et les dealers que les citoyens lambda pour des infractions de la route. En fait, les gens revendiquent beaucoup leurs droits, alors qu’ils ont aussi des devoirs, et respecter la police en fait partie.»
* Prénom d’emprunt
«Il est revenu pour me saisir le col et pour me donner un coup de poing…»
Xavier, 39 ans, police secours, Lausanne
«On était en train d’appuyer des collègues, suite à l’interpellation d’auteurs de dommages à la propriété. J’étais en retrait, à un moment donné, un individu est passé à côté de moi et m’a sauté dessus. Je ne lui avais pas adressé la parole, il n’était pas concerné par l’intervention en cours. J’ai pu le repousser une première fois. Il est revenu une main en avant pour me saisir le col et l’autre pour me donner un coup de poing. On est parti au corps à corps, on a dû finalement se mettre à huit dessus tellement il était énervé. On a eu de la peine à lui passer les menottes. C’était impossible d’entrer en discussion avec lui, il ne répondait à rien. J’ai déposé plainte au ministère public. Il a expliqué à la procureure qu’il ne savait absolument pas pourquoi il avait agi de cette manière-là, si ce n’est qu’il était pris d’alcool et qu’il regrettait.
Le Code pénal suisse est fait pour des gens respectueux et les sanctions ne prennent pas suffisamment en compte l’évolution de la société
Quand il s’agit de troubles à l’ordre public et que la police intervient, souvent on est au sol, les gens se rapprochent pour filmer et certains en profitent pour nous donner des coups de pied. On est obligé de mettre des policiers pour protéger ceux qui interviennent. La violence est devenue plus sournoise, nous sommes dans un monde en recherche de repères, et la police est l’élément de pouvoir visible sur lequel on se permet de vider ses nerfs.
Le Code pénal suisse est fait pour des gens respectueux et les sanctions ne prennent pas suffisamment en compte l’évolution de la société. Elles ne sont pas assez élevées. Pour les violences contre les fonctionnaires, les gens s’en tirent souvent avec des jours-amende, avec du sursis. Pour nous, c’est inacceptable.
Le profil des agresseurs de policiers peut varier, ce ne sont pas forcément les jeunes les plus violents. Chez les gens âgés aussi on trouve des personnes assez virulentes, pour des problèmes de dégénérescence mentale et aussi parfois de statut social: des personnes d’un certain âge n’acceptent pas forcément qu’on leur donne des ordres, parce qu’elles trouvent qu’elles méritent le respect. Alors que le respect, en réalité, chacun y a droit.»
«Il voulait tuer un policier ou se faire tuer par lui»
Damien*, 30 ans, agent de police, Genève
«J’en étais à mon quatrième mois de stage, au poste des Pâquis. J’étais avec ma collègue en train de mettre une amende pour une voiture mal stationnée. Un monsieur est venu vers nous, l’air très alcoolisé qui m’a dit d’une manière assez agressive : «Serre-moi la main!». J’ai trouvé ça un peu bizarre mais pour éviter que cela parte en cacahouètes je lui ai serré la main. Alors que je m’éloignais, le même monsieur est revenu en me disant à nouveau: «Serre moi la main!» J’ai refusé et lui ai dit de circuler. Il m’a répondu: «si tu ne me sers pas la main, tu vas le regretter», le bras droit caché dans le dos. Puisqu’il continuait dans son délire, avec ma collègue on a décidé de le «paqueter», c’est-à-dire de le menotter et de l’amener au poste.
Quand j’ai avancé avers lui, il a essayé de me taper avec un truc métallique qu’il cachait dans sa main. Je ne savais pas ce que c’était, je me suis protégé avec les bras et j’ai demandé du renfort. Puis, j’ai sorti le spray au poivre mais ça n’a pas fait grand effet. Il s’est alors mis à courir derrière ma collègue toujours avec ce même objet, j’ai alors sorti mon bâton tactique et je lui ai mis plusieurs coups au niveau du bras et du tronc. Mais aucun effet non plus. J’ai donc ressorti mon spray au poivre et là, il s’est mis par terre et a commencé à crier. Plusieurs collègues sont arrivés en renfort et l’ont menotté et emmenée au poste.
Je ne sais pas comment c’était avant, mais je constate aujourd’hui qu’il n’y a plus de respect pour l’uniforme dans la rue
Il m’avait touché mais pas blessé, j’ai été protégé par ma veste. L’objet était en fait une canette de Red Bull qu’il avait aplati au préalable. Il racontera ensuite qu’il avait voulu tuer un policier ou se faire tuer par lui, ce qui lui a valu d’être condamné pour tentative de meurtre. De mon côté, j’ai eu un appel de la cellule psychologique quelques mois après les faits.
Au quotidien, on a souvent affaire à des gens qui ont consommé beaucoup d’alcool ou de drogues. Du coup, quand on doit les maîtriser on en vient à user de la force. Les insultes aussi sont récurrentes, pas seulement de la part des jeunes mais aussi de types de 40 ou 50 ans. Je n’y attache aucune importance. Je ne sais pas comment c’était avant, mais je constate aujourd’hui qu’il n’y a plus de respect pour l’uniforme dans la rue. En plus, on a peur d’agir, à cause des conséquences: des plaintes sont fréquemment déposées contre nous pour des broutilles. On ne peut plus faire notre travail.»
* Prénom d’emprunt